Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/215

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viez savoir combien est douloureuse la position où je suis, vous pleureriez comme moi, tout insensible que vous êtes.

rodolphe, buvant ses larmes sur ses yeux. — Allons donc, enfant, avec tes pleurs ; tu me fais boire de l’eau pour la première fois depuis que j’ai atteint l’âge de raison.

mariette, lui passant timidement le bras autour du col. — Aimer et ne pouvoir le dire, sentir son cœur gros de soupirs et prêt à déborder, et ne pouvoir cacher sa tête sur le sein bien-aimé pour y pleurer à son aise, et n’oser risquer une caresse ; être comme le chien, l’oreille au guet, l’œil attentif, qui attend qu’il plaise au maître de le flatter de la main : voilà quel est notre sort. Oh ! je suis bien malheureuse !

rodolphe, ému. — Tu es bête comme plusieurs oies. Qui t’empêche de me dire que tu m’aimes, et de me caresser quand l’envie t’en prend ? Ce n’est pas moi, j’espère.

mariette. — Qu’ont donc les autres femmes de plus que moi ? Je suis aussi belle que plusieurs qui ont la réputation de l’être beaucoup. C’est vous qui l’avez dit, Rodolphe ; je ne sais si j’ai raison de vous croire, mais je vous crois. On ne prend guère la peine de flatter sa servante ; à quoi bon ? on n’a qu’à dire « je veux, » cela est plus commode. Voyez mes cheveux, ils sont noirs et à pleines mains : je vous ai souvent entendu louer les cheveux noirs ; mes yeux sont noirs comme mes cheveux : vous avez dit