Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/220

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une place de surnuméraire dans quelque administration, ou fais des articles de critique pour quelque journal, car tu n’es pas poëte, et la muse détourne sa bouche de ton baiser. Regarde, c’est dans ces murs que s’est passée la meilleure partie de ton existence ; tu as eu là tes plus beaux rêves, tes visions les plus dorées. Une longue habitude t’en a rendu familiers les coins les plus secrets : tes angles sortants s’adaptent on ne peut mieux avec leurs angles rentrants, et, comme le colimaçon, tu t’emboîtes parfaitement dans ta coquille. Ces murailles t’aiment et te connaissent, et répètent ta voix ou tes pas plus fidèlement que tous autres ; ces meubles sont faits à toi, et tu es fait à eux. Quand tu entres, la bergère te tend amoureusement les bras et meurt d’envie de t’embrasser ; les fleurs de ta cheminée s’épanouissent et penchent leur tête vers toi pour te dire bonjour ; la pendule fait carillon, et l’aiguille, toute joyeuse, galope ventre à terre pour arriver à l’heure dont le son vaut pour toi toutes les musiques célestes, à l’heure du dîner ou du déjeuner ; ton lit te sourit discrètement du fond de l’alcôve, et rougissant de pudeur entre ses rideaux pourprés, semble te dire que tu as vingt ans et que ta maîtresse est belle ; la flamme danse dans l’âtre, les bouilloires bavardent comme des pies, les oiseaux chantent, les chats font ronron ; tout prend une voix pour exprimer le contentement ; le tilleul du jardin allonge ses branches à travers la jalousie pour te donner la main et te souhaiter la bien-