Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/357

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paraissait que par éclairs rapides ; sous l’œil qui le regardait fixement, sa figure reprenait bien vite l’apparence bourgeoise et débonnaire d’un marchand viennois retiré du commerce, et l’on s’étonnait d’avoir pu soupçonner de scélératesse et de diablerie une face si vulgaire et si triviale.

Intérieurement Henrich était choqué de la nonchalance de cet homme ; ce silence si dédaigneux ôtait de leur valeur aux éloges dont ses bruyants compagnons l’accablaient. Ce silence était celui d’un vieux connaisseur exercé, qui ne se laisse pas prendre aux apparences et qui a vu mieux que cela dans son temps.

Atmayer, le plus jeune de la troupe, le plus chaud enthousiaste d’Henrich, ne put supporter cette mine froide, et, s’adressant à l’homme singulier, comme le prenant à témoin d’une assertion qu’il avançait :

— N’est-ce pas, monsieur, qu’aucun acteur n’a mieux joué le rôle de Méphistophélès que mon camarade que voilà ?

— Humph ! dit l’inconnu en faisant miroiter ses prunelles glauques et craquer ses dents aiguës, M. Henrich est un garçon de talent et que j’estime fort ; mais, pour jouer le rôle du diable, il lui manque encore bien des choses.

Et, se dressant tout à coup :

— Avez-vous jamais vu le diable, monsieur Henrich ?

Il fit cette question d’un ton si bizarre et si mo-