Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/56

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pondait à ses amis qui lui en faisaient des reproches : À quoi bon ? Car il avait des amis ; pas beaucoup, deux ou trois au plus, mais qui l’aimaient de tout l’amour que lui refusaient les autres, qui l’aimaient comme des gens qui ont une injustice à réparer. — À quoi bon ? ceux qui sont dignes de moi et me comprennent ne s’arrêtent pas à cette écorce noueuse : ils savent que la perle est cachée dans une coquille grossière ; les sots qui ne savent pas sont rebutés et s’éloignent : où est le mal ? Pour un fou, ce n’était pas trop mal raisonné.

Onuphrius, comme je l’ai déjà dit, était peintre, il était de plus poëte ; il n’y avait guère moyen que sa cervelle en réchappât, et ce qui n’avait pas peu contribué à l’entretenir dans cette exaltation fébrile, dont Jacintha n’était pas toujours maîtresse, c’étaient ses lectures. Il ne lisait que des légendes merveilleuses et d’anciens romans de chevalerie, des poésies mystiques, des traités de cabale, des ballades allemandes, des livres de sorcellerie et de démonographie ; avec cela il se faisait, au milieu du monde réel bourdonnant autour de lui, un monde d’extase et de vision où il était donné à bien peu d’entrer. Du détail le plus commun et le plus positif, par l’habitude qu’il avait de chercher le côté surnaturel, il savait faire jaillir quelque chose de fantastique et d’inattendu. Vous l’auriez mis dans une chambre carrée et blanchie à la chaux sur toutes ses parois, et vitrée de carreaux dépolis, il aurait été capable de voir quelque apparition étrange tout aussi