Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

travailla trois ou quatre heures avec acharnement. Quoique Jacintha fût absente, ses traits étaient si profondément gravés dans son cœur, qu’il n’avait pas besoin d’elle pour terminer son portrait. Il était presque fini, il n’y avait plus que deux ou trois dernières touches à poser, et la signature à mettre, quand une petite peluche, qui dansait avec ses frères les atomes dans un beau rayon jaune, par une fantaisie inexplicable, quitta tout à coup sa lumineuse salle de bal, se dirigea en se dandinant vers la toile d’Onuphrius, et vint s’abattre sur un rehaut, qu’il venait de poser.

Onuphrius retourna son pinceau, et avec le manche, l’enleva le plus délicatement possible. Cependant il ne put le faire si légèrement qu’il ne découvrît le champ de la toile en emportant un peu de couleur. Il refit une teinte pour réparer le dommage : la teinte était trop foncée, et faisait tache ; il ne put rétablir l’harmonie qu’en remaniant tout le morceau mais, en le faisant, il perdit son contour, et le nez devint aquilin, de presque à la Roxelane qu’il était, ce qui changea tout à fait le caractère de la tête ; ce n’était plus Jacintha, mais bien une de ses amies avec qui elle s’était brouillée, parce qu’Onuhrius la trouvait jolie.

L’idée du Diable revint à Onuphrius à cette métamorphose étrange ; mais, en regardant plus attentivement, il vit que ce n’était qu’un jeu de son imagination, et comme la journée s’avançait, il se leva et sortit pour rejoindre sa maîtresse chez M. de ***.