Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/108

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d’agonie, les autres lui déchiraient le ventre à belles dents, mâchaient ses entrailles parmi les touffes de laine. Ceux-ci tiraient à eux, comme font les oiseaux carnassiers sur les charognes, un long filement de boyau, qu’ils avalaient à mesure ; ceux-là plongeaient leur tête dans la carcasse effondrée, mordant le cœur, le foie ou les poumons. — Le mouton ne fut bientôt plus qu’une boue sanglante, un lambeau informe que ces bêtes féroces se disputaient entre elles, avec un acharnement que des hyènes et des loups n’y auraient certes pas mis.

Un détail purement oriental augmentait encore l’horreur de cette scène : les Arabes, comme tous les peuples musulmans, se rasent la tête ; les aïssaoua de Gerouaou, après deux heures de contorsions et d’épilepsie, étaient presque tous décoiffés, et leurs crânes dénudés se nuançaient, comme un menton dont la barbe est faite, de tons bleuâtres et verdâtres assez semblables à ceux de la moisissure ou de la putréfaction ; ces faces cuivrées, surmontées de tons faisandés, avaient un aspect bestial et sinistre, et, à voir ces crânes bleus, emmanchés de nuques rouges se plongeant dans les entrailles pantelantes du mouton, on eût dit de monstrueux oiseaux de proie, moitié hommes, moitié vau-