Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/110

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geâtres comme le ventre de certains poissons. Sur ce fond de ciel féroce, car les ciels ont leur physionomie comme les visages humains, le vol des vautours et des cigognes traçait de grandes virgules noires et les murailles de la ville se dessinaient en angles sombres au haut du rocher que j’escaladais péniblement.

De gigantesques buissons de cactus dont les palettes ressemblaient vaguement dans l’ombre à des vertèbres de cachalot échoué ; des sabres et des lances d’aloès bordaient le chemin comme un troupeau de monstres ou une guérilla d’ennemis embusqués. Quelquefois un Bédouin, monté sur son cheval maigre au ventre ensanglanté, me frôlait en passant des plis de son burnous flottant comme un linceul de spectre.

La terre et le ciel étaient menaçants ; la nature semblait sourdement hostile, et je ne sais quel indéfinissable sentiment de danger planait dans l’air. Il y a des moments où la solitude ne veut pas être dérangée et où l’ombre se renferme irritée sur le voyageur qui la traverse. Aussi, quoique aucun péril appréciable ne me menaçât, éprouvai-je une sorte de soulagement lorsque j’aperçus, sur le plateau de la montagne qui sert de base à Constantine, le marabout rendu célèbre par le tableau d’Horace Vernet.