Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/12

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France, l’on ne sait jamais où l’on est. Soit ignorance, soit mauvaise grâce, ni postillon ni marinier ne vous donnent de renseignements sur rien. Ils doivent pourtant connaître les noms des monuments et des villages situés sur les routes qu’ils parcourent toute l’année. On peut dire à leur excuse qu’ils ne vous comprennent pas. Quand on ne sait que le parisien, on a besoin d’un drogman en France, comme si l’on était dans les échelles du Levant. La majorité des Français parle d’affreux charabias aussi parfaitement inintelligibles pour nous que du chinois ou de l’algonquin.

Le mont Ventoux, blanchâtre vers la cime, avait passé de l’horizon à notre gauche, et les tours du palais des Papes émergeaient petit à petit du sein des eaux au bord du ciel. Avignon, caché d’abord par une anfractuosité du terrain, se montra bientôt avec ses admirables vieux remparts couleur de pain rôti, denticulés de créneaux et chaperonnés d’une corniche de machicoulis. — Il pouvait être trois heures du soir. À l’aide de la vapeur et du courant, nous avions en moins d’une journée accompli un trajet assez long pour avoir changé de climat. La Provence, c’est presque l’Italie ; Avignon, c’est presque Rome ; c’est la ville des papes et du soleil, et Pétrarque ne s’y trouvait pas trop dépaysé.