Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/121

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Les trois autres quittèrent leur place à leur tour et entrèrent dans le cercle magique. Les vieilles frappèrent leurs tarboukas avec un redoublement de fureur et donnèrent à leur chant monotone une accentuation gutturale et stridente, d’un effet étrange et ne ressemblant presque plus à la voix humaine.

Ces sons âpres, ce rhythme haletant, parurent faire une grande impression sur les danseuses ; elles penchaient leur corps en avant, puis le rejetaient en arrière, de façon à toucher presque les dalles du pavé ; elles faisaient tourbillonner éperdument les mouchoirs rayés d’or qu’elles tenaient dans chacune de leurs mains ; elles se tordaient en spirale, avec une augmentation de vitesse toujours croissante.

Bientôt leurs coiffures se détachèrent de leurs cheveux ; n’étant plus contenus, ceux-ci se répandirent sur leurs épaules, sur leur col, sur leur front, sur leurs joues, sur leur sein, comme une couvée de serpents noirs chassés violemment de leurs repaires. — Les longues mèches brunes de ces chevelures éparses, agitées par des mouvements désordonnés, semblaient les lanières d’un fouet manié par un esprit invisible qui en flagellait à tour de bras les danseuses pour activer leur ballet épileptique.