Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/215

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flétés dans un miroir placé au fond de la chambre ; sur le premier plan, au milieu de la toile, l’infante doña Marguerite-Marie d’Autriche s’amuse avec ses menines. Les deux nains, Mari Barbola, et Nicolasico Pertusato, placés à droite, tourmentent un grand épagneul favori, qui souffre patiemment leurs impertinences.

Sur la poitrine du peintre, on remarque une croix de commandeur de Calatrava, à propos de laquelle on raconte cette anecdote : Philippe IV, charmé de cette toile, prit un pinceau, en trempa la pointe dans le cinabre étalé sur la palette de l’artiste, et de sa main royale traça cet insigne honorifique, disant que c’était la dernière touche à mettre au tableau. Manière délicate et charmante de récompenser un grand artiste !

Jamais illustration ne fut plus méritée, car Velasquez peut à bon droit se nommer le Titien espagnol.

Quelle fierté de pinceau ! quelle largeur et quelle facilité de gentilhomme, sûr de sa race et de son talent ! Tout est fait au premier coup, et étudié comme si chaque touche eût coûté un jour de méditation. Comme il excelle à rendre les armures damasquinées où, sur l’acier noir, glisse une lame de lumière blanche ; les figures mâles et caractéristiques, les tournures cambrées, les poings sur les hanches, les grands airs de