Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/273

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dépassé Pontarlier, l’aube frissonnante et pâle se leva dans un ciel froid, grisâtre et brouillé ; des lignes de terrains sombres et dénudés se dessinèrent sur l’horizon blafard. La nature souvent semble éprouver ce malaise du matin connu des travailleurs ou des viveurs nocturnes ; elle a besoin d’étirer ses membres roidis et glacés, d’essuyer ses yeux lourds de sommeil, et de secouer l’épouvante des heures noires ; la vie ne lui revient pas subitement.

L’élévation du lieu refroidissait sensiblement la température ; le vent qui nous arrivait après s’être roulé sur la neige des Alpes rougissait notre figure penchée à la portière. Tout en grelottant, nous nous demandions pourquoi les gens qui furent toujours vertueux aimaient à voir lever l’aurore, et nous avouons n’avoir pas trouvé de réponse satisfaisante à cette question.

Il faisait complétement jour, quoique le soleil n’eût pas encore ôté son bonnet de nuages, quand la diligence arriva aux Bayards, le premier village suisse. On sentait déjà qu’on n’était plus en France ni en pays catholique ; de légères différences de formes, difficiles à faire comprendre par des mots, avertissent les regards les moins attentifs qu’on passe d’une contrée