Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/352

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lande un immense espace, et la terre ne fait qu’une ligne étroite au bas de ce cadre.

Rien ne semble moins favorable à la peinture, et cependant la Hollande tient une grande place dans l’art, tandis que la Suisse, avec ses glaciers, ses rochers, ses lacs, ses abîmes, ses torrents, ses forêts de pins, ses chalets pittoresques, sa magnifique végétation alpestre, n’a produit que Calame. En Suisse, la nature n’est pas proportionnée à l’homme et l’écrase : on peut faire beaucoup de peu, mais on ne fait rien de tout. En art, l’énorme est irréductible. Ne tentez pas ce qui dépasse l’échelle humaine. Mais laissons là cette métaphysique, et arrivons à la Haye.

La Haye a une physionomie de Versailles aquatique ; on y sent la présence d’une cour à la grandeur des places, à la largeur des rues, à la régularité et à l’élégance des édifices. Des gens moins affairés que ceux de Rotterdam habitent ces maisons riches, calmes et propres qu’assainit un fossé de drainage où verdit souvent la lentille d’eau ; des barques plus rares glissent en silence sur les canaux ou stationnent paresseusement le long des berges ; il y a plus de boutiques et moins de magasins ; on vient dépenser ici la fortune acquise ailleurs. Des ponts en dos d’âne, à montée abrupte, à des-