Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/97

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jatte de la plus abominable cuisine qu’il put inventer ; le chaudron des sorcières de Macbeth ne contenait pas de plus affreux ingrédients.

À la vue de ce vénéneux pot-pourri, les khouan renâclèrent ; leur foi n’était pas assez vive pour dompter les soulèvements de leur estomac ; ils allaient se retirer tout confus et laisser triompher Mouleï-Ismaël, lorsque Lella-Khamsia, une ancienne servante de Sidi-Mhammet-ben-Aïssa, vint se planter devant l’exécrable brouet, et, reprochant aux khouan leur tiédeur, se mit à dévorer les couleuvres, les rats, les araignées, les limaces de si grand cœur, que les aïssaoua, encouragés, vidèrent le plat en un clin d’œil, à la grande confusion du sultan. Ils ne se portèrent que mieux après ce festin empoisonné.

En mémoire de ce miracle, ont voit quelquefois sur les places d’Alger, une femme, les cheveux épars, faire mine d’avaler des serpents, en réglant ses contorsions sur le rhythme des tarboukas, et les aïssaoua jouissent dans tout le Magreb de la réputation des psylles d’Égypte. Leur pouvoir ne s’étend pas seulement sur les reptiles, ils connaissent l’art de dompter les animaux féroces, et traînent souvent à leur suite des lions apprivoisés.