Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/99

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prière que les khouan accompagnaient de grognements sourds. De temps à autre, un faible coup de tarbouka rhythmait et coupait ce murmure, qui allait s’enflant peu à peu et se grossissant comme une vague avec un bruit d’océan ou de tonnerre lointain.

Tout à coup, un cri aigu, prolongé, chevroté, un piaulement de chouette ou d’orfraie éblouie, un sanglot d’enfant égorgé, un rire de goule dans un cimetière, partit à travers la nuit comme une fusée stridente. Cette note, d’une tonalité surnaturelle, cette note aigre, frêle et tremblée, fausse comme un soupir d’hyène, méchante comme un ricanement de crocodile, éveilla dans le lointain les jappements enroués des chacals et me fit froid à la moelle des os. Il me sembla qu’un vol d’affriets ou de djinns passait au-dessus de moi.

Ce miaulement infernal était poussé par les femmes, qui soutiennent ce cri en frappant leur bouche avec le plat de la main pour faire vibrer le son. On ne saurait imaginer rien de plus discordant, de plus affreux, de plus sinistre. Les grincements des roues de chars à bœufs qui, pendant la nuit, dans les montagnes de l’Aragon font fuir les loups d’épouvante, ne sont, à côté de cela, que de l’harmonie rossinienne.

Cet épouvantable applaudissement parut exciter les