Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/262

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bien qu’il n’eût pas trente ans. Il disait combien de fois il s’était exposé pour secourir ses semblables, de quelle façon il avait sauvé son navire en jetant à la mer un baril de poudre prêt à s’enflammer.

— Tous les marins sont braves, et, pour se distinguer parmi eux, il faut être d’une intrépidité folle et posséder un sang-froid extrême et une promptitude prodigieuse de jugement dans le danger, dit-il en terminant. C’est ainsi qu’est mon fils, et, au milieu de l’orgueil qu’il m’inspire, il me désespère par le peu de cas qu’il fait de sa vie.

— Vous devez bien souffrir, en effet, disait Lucienne ; et quelle force d’âme vous montrez cependant ! Si l’homme que j’aime était ainsi exposé, je ne pourrais pas supporter l’angoisse qui me dévorerait, je deviendrais bientôt folle.

— Il y a toujours moyen de s’arranger avec la destinée, dit le vieillard ; je suis armé contre elle. Si mon fils meurt, je ne lui survivrai pas, voilà tout.

Lucienne n’objecta rien.

— En effet, pensait-elle, la mort est un refuge contre la douleur.

Bientôt, comme il l’avait annoncé les causeries de M. Lemercier devinrent des enseignements. Il raconta à Lucienne l’histoire du monde, la vie des héros. Il avait été aux Indes, au Japon, en Cochinchine ; il lui décrivit les pays qu’il avait vus, leurs mœurs, leurs religions, leurs légendes. Quelquefois il apportait une carte pour lui faire mieux comprendre la configuration d’un pays, ou bien un herbier