Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/300

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le sais, et, si je ne meurs pas le jour de vos noces, je vous aimerai tout autant le lendemain ; personne n’empêchera que vous soyez toute ma pensée et que j’éprouve à vous aimer des joies mystérieuses, que je ne donnerais pas pour tous les bonheurs du monde. Maintenant, je vous en conjure, ne parlons plus de cela ; laissez-moi mon rêve, je ne vous demande rien.

— Quel amour ! murmura Lucienne avec épouvante.

Elle reconnaissait là une passion pareille à la sienne. C’était bien ainsi qu’elle aimait Adrien, avec cette abnégation, cet esclavage absolu ; elle l’eût aimé criminel, elle l’eût aimé sans espérance, et, fût-il l’époux d’une autre, elle l’aimerait encore. Mais il lui semblait qu’alors la douleur serait plus forte que son amour et qu’elle en mourrait. Comment Stéphane avait-il la force de vivre ? C’était pour son père sans doute qu’il vivait ; ne lui avait-il pas presque avoué que, sans lui, il se serait tué ?

Cette idée qu’un jour peut-être Stéphane mourrait à cause d’elle, fit frissonner douloureusement Lucienne.

Le jeune homme surprit cette pénible impression.

— Ah ! maudites soient les paroles que je vous ai dites ! s’écria-t-il. Moi qui donnerais mon sang pour satisfaire un de vos caprices, je ne suis parvenu qu’à vous attrister et à troubler votre repos. Pourquoi ai-je cédé à ce besoin coupable de vous ouvrir mon cœur ? N’aurais-je pas dû cacher à vos