Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est marié ! s’écria Lucienne d’une voix déchirante.

— Je me suis douté de cela en ne te voyant pas ce matin, et je me suis mis à ta recherche, dit M. Lemercier. Tu devines combien mon cœur souffre avec le tien, pauvre et douce enfant. Mais tu n’as plus le droit de renier l’effort que tu as fait vers l’honnêteté et la vertu. Retourner à ta vie d’autrefois ! y songes-tu ? Comment une telle pensée a-t-elle pu venir à un esprit comme le tien ? Vois-tu, Lucienne, ton sacrifice était incomplet, puisque tu ne l’accomplissais que dans l’intérêt d’un amour immense. Le but était si doux que tout était possible pour l’atteindre. La véritable punition a lieu aujourd’hui seulement. Il faut être maintenant vertueuse pour la vertu même, sans avoir de récompense ; et peut-être, un jour, la récompense viendra d’elle-même. Allons, Lucienne, suis-moi, retourne à ta vie paisible et honnête.

— Oh ! père, ne me tirez pas de mon engourdissement, ne me rappelez pas à l’horreur de la réalité ! s’écria Lucienne ; vous savez bien que, sans son amour, je ne puis pas vivre. Puisqu’il est perdu pour moi, je suis perdue pour tous. Il n’y a plus rien, plus rien au monde !

— Quoi ! ma fille, pas même mon amour ; pas même ce cœur de père, qui souffre avec toi ?

Les nerfs de Lucienne se détendirent enfin, un sanglot lui monta à la gorge, et elle se laissa tomber dans les bras du vieillard.