Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/44

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sait, à travers une vague terreur, comme un justicier chargé de lui faire expier les fautes de sa vie.

Il s’occupait cependant bien peu d’elle. Clignant légèrement les yeux, il s’efforçait de mieux voir un trois-mâts qui se découpait comme une légère fumée sur l’horizon blanc. Lucienne, tout en le regardant, souriait des idées bizarres qui maintenant la hantaient.

— L’air de la mer me trouble la cervelle ! se disait-elle pour se rassurer.

M. Provot lui avait confié la garde de son peignoir, et prenait son bain, barbotant dans les premières vagues.

— L’eau est très-bonne, criait-il à Lucienne, tu as tort de ne pas te baigner.

— J’aime mieux regarder la mer, dit-elle.

Mais bientôt le jeune homme s’en alla, sa mère et sa sœur l’appelant d’en haut.

Lucienne, tristement, le regarda s’éloigner.

— Pourquoi donc m’a-t-on dit souvent que j’étais jolie ? murmurait-elle, avec une vague envie de pleurer ? voici quelqu’un qui donne un démenti brutal à toutes les flatteries dont on m’a accablée. Il s’est certainement aperçu de l’attention dont il est l’objet, et il ne daigne pas plus me regarder que si j’étais le plus épouvantable des laiderons. Ah ! je ne céderai pas ! continua-t-elle en serrant le poing, il m’aimera, je le jure ! alors je le mépriserai à mon tour.

Au déjeuner, elle ne le regarda pas une seule