Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeune inconnu ose ainsi dévoiler son cœur devant vos grands yeux de reine… »

— C’est un royaliste, décidément ! dit Lucienne.

— Mais non, c’est un marin, dit Jenny, tu vas voir :

« Je pousse ce cri de détresse pour être sauvé du naufrage. Je me fie à mon étoile. Dans quelques semaines un navire m’emportera, pour toujours peut-être. Ah ! si au moins je sentais sur mon cœur un mot de vous !. Vous allez décider de mon sort. Dans deux jours, je saurai, par votre silence ou par votre réponse, si vous vous raillez de moi ou si j’ai droit à votre pitié ! Écrivez, poste restante, à F., aux initiales M. D. Que votre volonté s’accomplisse ! »

— Voilà ! ce n’est pas trop mal tourné, n’est-ce pas ? dit Jenny, en reployant la lettre.

— Tu ne vas pas répondre à cet imbécile, j’espère ! dit Lucienne.

— Comment ! ne pas lui répondre ! Mais alors il ne m’écrira plus, et je n’aurai qu’une lettre à montrer à mes amies après les vacances. Et puis, d’abord, ajouta-t-elle gravement, qui te dit que je ne l’aime pas ?

— Comment ! l’aimer ! tu sais donc qui c’est ?

— Non, mais ça ne fait rien, dit Jenny, je le vois. Il est pèle, avec de grands yeux languissants et une petite moustache retroussée.

— Et s’il n’était pas tel que tu l’imagines, dit Lucienne en riant.