Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/83

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— J’attendrais ma majorité.

— C’est juste. L’idée d’oublier la famille et le monde, pour courir dans les bras d’un homme qu’elle aimerait, ne peut même pas venir à une jeune fille pure et bien élevée.

— Mais c’est bien sûr ! Perds-tu la tête ? dit Jenny ; croîs-tu que je serais assez folle pour me faire chasser de la société, et pour devenir ce que maman appelle « une fille perdue ? »

Elle prononça ces mots avec un tel accent de mépris que Lucienne se sentit le cœur traversé comme d’un coup de poignard.

Jenny ne pouvait rester bien longtemps sérieuse ; elle reprit son air mutin.

— Allons, viens vite, dit-elle à Lucienne, nous écrirons dans ta chambre ; nous serons plus tranquilles.

Lucienne ferma le piano, prit son cahier de mélodies et suivit Jenny.

— Passons derrière le Casino, pour ne pas rencontrer mon frère qui me gronderait de l’avoir attrapé, dit la jeune fille en ouvrant une porte qui donnait sur les coulisses du théâtre.

Dans la chambre de Lucienne, elles s’enfermèrent à clef.

— As-tu du papier à lettre ? demanda Jenny.

— Oui, répondit Lucienne en ouvrant un buvard en cuir de Russie.

— Mais il est marqué à ton chiffre. Un fameux chiffre même ! il tient la moitié de la feuille.