Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/97

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éloge dans son journal, mais il ne parla jamais de moi. Un jour il me battit, et je le quittai.

— Voyons, te moques-tu de moi ? dit la voix de M. Provot, c’est ridicule !

Chaque coup frappé à sa porte semblait évoquer pour elle une des infamies de sa vie passée.

— Le directeur d’un petit théâtre avait précédé le journaliste. C’était le premier, celui-là ; il me fit débuter à son théâtre ; mais c’était un malhonnête homme, il fit banqueroute et me reprit les bijoux qu’il m’avait donnés. Mon Dieu ! je n’ai pas vingt ans, et quelle liste longue et lamentable, hélas !

— Bonsoir, ma chère, dit M, Provot, je ne veux pas faire de scandale ici, mais tu me le paieras.

Lucienne se promenait à grands pas dans sa chambre.

— J’avais perdu l’esprit. J’étais comme ces oiseaux qui cachent leur tête sous leur aile et s’imaginent qu’on ne les voit plus. Je croyais que tous ces gens-là allaient cesser d’exister ; qu’ils ne me connaîtraient plus, parce que je ne veux plus les connaître ; que je pourrais, passant dans la rue, arrêter sur leurs lèvres leur sourire familier ! Tous les cabotins, mes camarades, et toutes les bonnes amies qui m’entraînaient dans leurs folies ou partageaient les miennes, ils auraient oublié mon visage ! Et tout Paris qui m’appelle par mon nom ! Ô Adrien, pardonne-moi d’avoir un instant rêvé d’être ta femme !