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Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/145

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Un tremblement me secouait de haut en bas. Je courbai la tête en tenant mes yeux obstinément fermés et je me mis à labourer le sol avec mes défenses, pour user ma rage.

Je les entendais toujours s’approcher, elle de son pas si léger, lui, traînant nonchalamment les pieds. Il m’avait remarqué, c’était de moi qu’il parlait.

— Tiens, disait-il, vous avez un éléphant blanc ? Je sais que dans certains pays on a beaucoup de vénération pour les animaux de cette espèce, à Siam, entre autres, la patrie de la reine votre mère. Chez nous, on est moins naïf, on aime les éléphants blancs pour la parade ; mais on les estime moins que les autres, parce qu’ils sont moins robustes.

Parvati s’était arrêtée devant moi ; inquiète de ma sourde colère, bien visible pour elle, cherchant à m’apaiser de sa douce main, et sa voix tremblait un peu quand elle répondit au prince :

— Iravata est le bon génie de ma famille, il incarne certainement un de nos aïeux et il est pour moi l’ami le plus cher.

— Pas plus que votre fiancé, j’espère ? dit-il, avec un rire suffisant.

— Celui qui m’est dévoué depuis ma naissance m’est mieux connu que le fiancé d’hier…

— C’est sérieux ! s’écria Baladji, en riant plus fort, faut-il que je sois jaloux vraiment de cette grosse bête-là ?…

Je ne pus me retenir d’ouvrir les yeux, et, devant l’expression de mon regard, croisant le sien, le prince se recula de quelques pas.

— Par Kali, qui danse sur des morts ! dit-il, votre ancêtre n’a pas l’air très agréable, ses yeux sont plus féroces que ceux d’un tigre.

— Éloignons-nous, je vous prie, dit Parvati, je ne sais ce qui l’irrite, mais Iravata n’est pas comme à son ordinaire.

— Je m’éloignerai très volontiers, dit le prince, en cherchant à