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Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/106

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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

souhaité que de rencontrer sur la montagne, comme Tirésias le devin, ces serpents qui font changer de sexe ; et ce que j’envie le plus aux dieux monstrueux et bizarres de l’Inde, ce sont leurs perpétuels avatars et leurs transformations innombrables.

J’ai commencé par avoir envie d’être un autre homme ; — puis, faisant réflexion que je pouvais, par l’analogie, prévoir à peu près ce que je sentirais, et alors ne pas éprouver la surprise et le changement attendus, j’aurais préféré d’être femme ; cette idée m’est toujours venue, lorsque j’avais une maîtresse qui n’était pas laide ; car une femme laide est un homme pour moi, et aux instants de plaisirs j’aurais volontiers changé de rôle, car il est bien impatientant de ne pas avoir la conscience de l’effet qu’on produit et de ne juger de la jouissance des autres que par la sienne. Ces pensées et beaucoup d’autres m’ont souvent donné, dans les moments où il était le plus déplacé, un air méditatif et rêveur qui m’a fait accuser bien à tort vraiment de froideur et d’infidélité.

Rosette, qui ne sait pas tout cela, fort heureusement, me croit l’homme le plus amoureux de la terre ; elle prend cette impuissante fureur pour une fureur de passion, et elle se prête de son mieux à tous les caprices expérimentaux qui me passent par la tête.

J’ai fait tout ce que j’ai pu pour me convaincre de sa possession : j’ai tâché de descendre dans son cœur, mais je me suis toujours arrêté à la première marche de l’escalier, à sa peau ou sur sa bouche. Malgré l’intimité de nos relations corporelles, je sens bien qu’il n’y a rien de commun entre nous. Jamais une idée pareille aux miennes n’a ouvert ses ailes dans cette tête jeune et souriante ; jamais ce cœur plein de vie et de feu, qui soulève palpitant une gorge si ferme et si pure, n’a battu à l’unisson de mon cœur. Mon âme ne s’est jamais