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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

été désappointé, et que la réalité m’a paru aussi belle que l’idéal. — Si je pouvais trouver une femme, un paysage, une architecture, quelque chose qui répondit à mon désir intime aussi parfaitement que cette minute là a répondu à la minute que j’avais rêvée, je n’aurais rien à envier aux dieux, et je renoncerais très-volontiers à ma stalle du paradis. — Mais, en vérité, je ne crois pas qu’un homme de chair pût résister une heure à des voluptés si pénétrantes ; deux baisers comme cela pomperaient une existence entière, et feraient vide complet dans une âme et dans un corps. — Ce n’est pas cette considération-là qui m’arrêterait ; car, ne pouvant prolonger ma vie indéfiniment, il m’est égal de mourir, et j’aimerais mieux mourir de plaisir que de vieillesse ou d’ennui.

Mais cette femme n’existe pas. — Si, elle existe ; — je n’en suis peut-être séparé que par une cloison. — Je l’ai peut-être coudoyée hier ou aujourd’hui.

Que manque-t-il à Rosette pour être cette femme-là ? — Il lui manque que je le croie. Quelle fatalité me fait donc avoir toujours pour maîtresses des femmes que je n’aime pas. Son cou est assez poli pour y suspendre les colliers les mieux ouvrés ; ses doigts sont assez effilés pour faire honneur aux plus belles et aux plus riches bagues ; le rubis rougirait de plaisir de briller au bout vermeil de son oreille délicate ; sa taille pourrait ceindre le ceste de Vénus ; mais c’est l’amour seul qui sait nouer l’écharpe de sa mère.

Tout le mérite qu’a Rosette est en elle, je ne lui ai rien prêté. Je n’ai pas jeté sur sa beauté ce voile de perfection dont l’amour enveloppe la personne aimée ; — le voile d’Isis est un voile transparent à côté de celui-là. — Il n’y a que la satiété qui en puisse lever le coin.

Je n’aime pas Rosette ; du moins l’amour que j’ai pour