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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

comme si j’eusse eu le secret du langage des oiseaux. C’était l’histoire des amours que je n’ai pas eues que chantait ce rossignol. Jamais histoire n’a été plus exacte et plus vraie. Il n’omettait pas le plus petit détail, la plus imperceptible nuance. Il me disait ce que je n’avais pas pu me dire, il m’expliquait ce que je n’avais pu comprendre ; il donnait une voix à ma rêverie, et faisait répondre le fantôme jusqu’alors muet. Je savais que j’étais aimé, et la roulade la plus langoureusement filée m’apprenait que je serais heureux bientôt. Il me semblait voir à travers les trilles de son chant et sous la pluie de notes s’étendre vers moi, dans un rayon de lune, les bras blancs de ma bien-aimée. Elle s’élevait lentement avec le parfum du cœur d’une large rose à cent feuilles. — Je n’essayerai pas de te décrire sa beauté. Il est des choses auxquelles les mots se refusent. Comment dire l’indicible ? comment peindre ce qui n’a ni forme ni couleur ? comment noter une voix sans timbre et sans paroles ? — Jamais je n’ai eu tant d’amour dans le cœur ; j’aurais pressé la nature sur mon sein, je serrais le vide entre mes bras comme si je les eusse refermés sur une taille de vierge ; je donnais des baisers à l’air qui passait sur mes lèvres ; je nageais dans les effluves qui sortaient de mon corps rayonnant. Ah ! si Rosette se fût trouvée là ! quel adorable galimatias je lui eusse débité ! Mais les femmes ne savent jamais arriver à propos. — Le rossignol cessa de chanter ; la lune, qui n’en pouvait plus de sommeil, tira sur ses yeux son bonnet de nuages, et moi je quittai le jardin ; car le froid de la nuit commençait à me gagner.

Comme j’avais froid, je pensai tout naturellement que j’aurais plus chaud dans le lit de Rosette que dans le mien, et je fus coucher avec elle. — J’entrai avec mon passe-partout, car tout le monde dormait dans la mai-