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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

a eu plusieurs amants avant vous ; mais on se dit, tant l’orgueil de l’homme a de retours et de replis tortueux ! que l’on est le premier qu’elle ait véritablement aimé, et que c’est par un concours de circonstances fatales qu’elle s’est trouvée liée à des gens indignes d’elle, ou bien que c’était un vague désir d’un cœur qui cherchait à se satisfaire, et qui changeait parce qu’il n’avait pas rencontré.

Peut-être ne peut-on aimer réellement qu’une vierge, — vierge de corps et d’esprit, — un frêle bouton qui n’ait encore été caressé d’aucun zéphyr et dont le sein fermé n’ait reçu ni la goutte de pluie ni la perle de rosée, une chaste fleur qui ne déploie sa blanche robe que pour vous seul, un beau lis à l’urne d’argent où ne se soit abreuvé aucun désir, et qui n’ait été doré que par votre soleil, balancé que par votre souffle, arrosé que par votre main. — Le rayonnement du midi ne vaut pas les divines pâleurs de l’aube, et toute l’ardeur d’une âme éprouvée et qui sait la vie le cède aux célestes ignorances d’un jeune cœur qui s’éveille à l’amour. — Ah ! quelle pensée amère et honteuse que celle qu’on essuie les baisers d’un autre, qu’il n’y a peut-être pas une seule place sur ce front, sur ces lèvres, sur cette gorge, sur ces épaules, sur tout ce corps qui est à vous maintenant, qui n’ait été rougie et marquée par des lèvres étrangères ; que ces murmures divins qui viennent au secours de la langue qui n’a plus de mots ont déjà été entendus ; que ces sens si émus n’ont pas appris de vous leur extase et leur délire, et que tout là-bas, bien loin, bien à l’écart dans un de ces recoins de l’âme où l’on ne va jamais, veille un souvenir inexorable qui compare les plaisirs d’autrefois aux plaisirs d’aujourd’hui !

Quoique ma nonchalance naturelle me porte à préfé-