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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

prêtres ou religieuses : eh bien ! dans cette atmosphère de pureté et de repos, sous cette ombre et ce recueillement, je me pourrissais petit à petit, et sans qu’il en parût rien, comme une nèfle sur la paille. Au sein de cette famille honnête, pieuse, sainte, j’étais parvenu à un degré de dépravation horrible. — Ce n’était pas le contact du monde, puisque je ne l’avais pas vu ; ni le feu des passions, puisque je transissais sous la sueur glacée qui suintait de ces braves murailles. — Le ver ne s’était pas traîné du cœur d’un autre fruit à mon cœur. Il était éclos de lui-même au plus plein de ma pulpe qu’il avait rongée et sillonnée en tous sens : en dehors rien ne paraissait et ne m’avertissait que je fusse gâté. Je n’avais ni tache ni piqûre ; mais j’étais tout creux par dedans, et il ne me restait qu’une mince pellicule, brillamment colorée, que le moindre choc eût crevée. — N’est-ce pas là une chose inexplicable qu’un enfant né de parents vertueux, élevé avec soin et discrétion, tenu loin de toute chose mauvaise, se pervertisse tout seul à un tel point, et arrive où j’en suis arrivé ? Je suis sûr qu’en remontant jusqu’à la sixième génération, on ne retrouverait pas parmi mes ancêtres un seul atome pareil à ceux dont je suis formé. Je ne suis pas de ma famille ; je ne suis pas une branche de ce noble tronc, mais un champignon vénéneux poussé par quelque lourde nuit d’orage entre ses racines moussues ; et pourtant personne n’a eu plus d’aspirations et d’élans vers le beau que moi, personne n’a essayé plus opiniâtrément de déployer ses ailes ; mais chaque tentative a rendu ma chute plus profonde, et ce qui devait me sauver m’a perdu.

La solitude m’est plus mauvaise que le monde, quoique je désire plus la première que le second. — Tout ce qui m’enlève à moi-même m’est salutaire : la so-