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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

enfantine et de mauvaise humeur très-singulier et très-charmant.

Quels étaient les liens qui unissaient le maître au page et le page au maître ? Assurément il y avait entre eux plus que l’affection qui peut exister entre le maître et le domestique. Étaient-ce deux amis ou deux frères ? — Alors, pourquoi ce travestissement ? — Il eût été cependant difficile de croire à quiconque eût vu la scène que nous venons de décrire, que ces deux personnages n’étaient en vérité que ce qu’ils paraissaient être.

— Ce cher ange, comme il dort ! dit à voix basse le jeune homme ; je crois qu’il n’avait jamais tant fait de chemin de sa vie. Vingt lieues à cheval, lui qui est si délicat ! j’ai peur qu’il ne soit malade de fatigue. Mais non, cela ne sera rien ; demain il n’y paraîtra plus ; il aura repris ses belles couleurs, et sera plus frais qu’une rose après la pluie. — Est-il beau comme cela ! Si je ne craignais de l’éveiller, je le mangerais de caresses. Quelle adorable fossette il a au menton ! quelle finesse et quelle blancheur de peau ! — Dors bien, cher trésor. — Ah ! je suis vraiment jaloux de ta mère et je voudrais t’avoir fait. — Il n’est pas malade ? Non ; — sa respiration est réglée, et il ne bouge pas. — Mais je crois qu’on a frappé…

En effet, on avait frappé deux petits coups aussi doucement que possible sur le panneau de la porte.

Le jeune homme se leva, et, craignant de s’être trompé, attendit, pour ouvrir, que l’on heurtât de nouveau. — Deux autres coups, un peu plus accentués, se firent entendre de nouveau, et une douce voix de femme dit sur un ton très-bas : — C’est moi, Théodore.

Théodore ouvrit, mais avec moins de vivacité qu’un jeune homme n’en met à ouvrir à une femme dont la voix est douce, et qui est venue gratter mystérieusement