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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

versa sur les pieds du Christ était faite des anciens pleurs de ceux qu’elle avait consolés, et je pense aussi que c’est de pareilles larmes qu’est semé le chemin de saint Jacques, et non, comme on l’a prétendu, des gouttes de lait de Junon. — Qui fera donc pour vous ce que vous avez fait pour lui ?

Rosette.

Personne, hélas ! puisque vous ne le pouvez.

Théodore.

Ô chère âme ! que ne le puis-je ! — Mais ne perdez pas l’espoir. — Vous êtes belle et bien jeune encore. — Vous avez bien des allées de tilleuls et d’acacias en fleurs à parcourir avant d’arriver à cette route humide, bordée de buis et d’arbres sans feuilles, qui conduit du tombeau de porphyre où l’on enterrera vos belles années mortes, au tombeau de pierre brute et couverte de mousse où l’on se hâtera de pousser le reste de ce qui fut vous et les spectres ridés et branlants des jours de votre vieillesse. Il vous reste beaucoup à gravir de la montagne de la vie, et de longtemps vous ne parviendrez à la zone où se trouve la neige. Vous n’en êtes qu’à la région des plantes aromatiques, des cascades limpides où l’iris suspend ses arches tricolores, des beaux chênes verts et des mélèzes parfumés. Montez encore quelque peu, et de là, dans l’horizon plus large qui se déploiera à vos pieds, vous verrez peut-être s’élever la fumée bleuâtre du toit où dort celui qui vous aimera. Il ne faut pas, dès l’abord, désespérer de sa vie, il s’ouvre, comme cela, dans notre destinée, des perspectives à quoi nous ne nous attendions plus. — L’homme, dans la vie, m’a souvent fait penser à un pèlerin qui suit l’escalier en colimaçon d’une tour gothique. Le long ser-