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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

chèvres en les menaçant et en agitant sa baguette d’osier, quand elles faisaient mine de vouloir marcher sur les toiles dont elle avait la garde, — te la rappelles-tu ? — Et les papillons couleur de soufre, au vol inégal et tremblotant, et le martin-pêcheur que nous avons tant de fois essayé d’attraper et qui avait son nid dans ce fourré d’aunes ? et ces descentes à la rivière avec leurs marches grossièrement taillées, leurs poteaux et leurs pieux tout verdis par le bas et presque toujours fermées par une claire-voie de plantes et de branchages ? Que cette eau était limpide et miroitante ! comme elle laissait voir un fond de gravier doré ! et quel plaisir c’était, assis sur la rive, d’y laisser pendre le bout de ses pieds ! Les nénuphars à fleurs d’or, qui s’y déroulaient gracieusement, avaient l’air de verts cheveux flottant sur le dos d’agate de quelque nymphe au bain. — Le ciel se regardait à ce miroir avec des sourires azurés et des transparences d’un gris de perle on ne peut plus ravissant, et, à toutes les heures de la journée, c’étaient des turquoises, des paillettes, des ouates et des moires d’une variété inépuisable. — Que j’aimais ces escadres de petits canards à cous d’émeraude, qui naviguaient incessamment d’un bord à l’autre et formaient quelques rides sur cette pure glace !

Que nous étions bien faits pour être les figures de ce paysage ! — comme nous allions à cette nature si douce et si reposée, et comme nous nous harmonisions facilement avec elle ! Printemps au dehors, jeunesse au dedans, soleil sur le gazon, sourire sur les lèvres, neige de fleurs à tous les buissons, blanches illusions épanouies dans nos âmes, pudique rougeur sur nos joues et sur l’églantine, poésie chantant dans notre cœur, oiseaux cachés gazouillant dans les arbres, lumière, roucoulements, parfums, mille rumeurs confuses, le