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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Cette main… Je m’en vais partir en Italie voir les tableaux des grands maîtres, étudier, comparer, dessiner, devenir un peintre enfin, pour la pouvoir rendre comme elle est, comme je la vois, comme je la sens ; ce sera peut-être un moyen de me débarrasser de cette espèce d’obsession.

J’ai désiré la beauté ; je ne savais pas ce que je demandais. — C’est vouloir regarder le soleil sans paupières, c’est vouloir toucher la flamme. — Je souffre horriblement. — Ne pouvoir s’assimiler cette perfection, ne pouvoir passer dans elle et la faire passer en soi, n’avoir aucun moyen de la rendre et de la faire sentir ! — Quand je vois quelque chose de beau, je voudrais le toucher de tout moi-même, partout et en même temps. Je voudrais le chanter et le peindre, le sculpter et l’écrire, en être aimé comme je l’aime ; je voudrais ce qui ne se peut pas et ce qui ne se pourra jamais.

Ta lettre m’a fait mal, — bien mal, — pardonne-moi ce que je dis là. — Tout ce bonheur calme et pur dont tu jouis, ces promenades dans les bois rougissants, — ces longues causeries, si tendres et si intimes, qui se terminent par un chaste baiser sur le front ; cette vie séparée et sereine ; ces jours, si vite passés que la nuit vous semble avancer, me font encore trouver plus tempêtueuses les agitations intérieures où je vis. — Ainsi donc vous devez vous marier dans deux mois ; tous les obstacles sont levés, vous êtes sûrs maintenant de vous appartenir à tout jamais. Votre félicité présente s’augmente de toute votre félicité future. Vous êtes heureux, et vous avez la certitude d’être plus heureux bientôt. — Quel sort que le vôtre ! — Ton amie est belle, mais ce que tu as aimé en elle, ce n’est pas la beauté morte et palpable, la beauté matérielle, c’est la beauté invisible et éternelle, la beauté qui ne vieillit point, la beauté de