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Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/240

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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

dans le feuillage au-dessus de ma tête, et il fallait bien finir par y donner un coup de dent, sauf à la jeter après, si la saveur m’en paraissait amère.

J’ai fait comme Ève la blonde, ma très-chère grand’mère, — j’ai mordu.

La mort de mon oncle, le seul parent qui me restât, me laissant libre de mes actions, j’exécutai ce que je rêvais depuis si longtemps. — Mes précautions étaient prises avec le plus grand soin pour que nul ne se doutât de mon sexe : j’avais appris à tirer l’épée et le pistolet ; je montais parfaitement à cheval et avec une hardiesse dont peu d’écuyers eussent été capables ; j’étudiai bien la manière de porter le manteau et de faire siffler la cravache, et, en quelques mois, je parvins à faire d’une fille qu’on trouvait assez jolie, un cavalier beaucoup plus joli, et à qui il ne manquait guère que la moustache. — Je réalisai ce que j’avais de bien, et je sortis de la ville, décidée à n’y revenir qu’avec l’expérience la plus complète.

C’était le seul moyen d’éclaircir mes doutes : avoir des amants ne m’aurait rien appris, ou du moins cela ne m’eût donné que des lueurs incomplètes, et je voulais étudier l’homme à fond, l’anatomiser fibre par fibre avec un scalpel inexorable et le tenir tout vif et tout palpitant sur ma table de dissection ; pour cela il fallait le voir seul à seul chez lui, en déshabillé, le suivre à la promenade, à la taverne et ailleurs. — Avec mon déguisement, je pouvais aller partout sans être remarquée ; on ne se cachait pas devant moi, on jetait de côté toute réserve et toute contrainte, je recevais des confidences et j’en faisais de fausses pour en provoquer de vraies. Hélas ! les femmes n’ont lu que le roman de l’homme et jamais son histoire.

C’est une chose effrayante à penser et à laquelle on