Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
262
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

deux brins d’herbe, et ouvre toutes grandes ses prunelles bleues, afin de voir passer le héros.

Le bouvreuil et la linotte se penchent au bout des rameaux pour souffler les rôles aux acteurs.

À travers les grandes herbes, les hauts chardons pourprés et les bardanes aux feuilles de velours, serpentent, comme des couleuvres d’argent, des ruisseaux faits avec les larmes des cerfs aux abois : de loin en loin, on voit briller sur le gazon les anémones pareilles à des gouttes de sang, et se rengorger les marguerites la tête chargée d’une couronne de perles, comme de véritables duchesses.

Les personnages ne sont d’aucun temps ni d’aucun pays ; ils vont et viennent sans que l’on sache pourquoi ni comment ; ils ne mangent ni ne boivent, ils ne demeurent nulle part et n’ont aucun métier ; ils ne possèdent ni terres, ni rentes, ni maisons ; quelquefois seulement ils portent sous le bras une petite caisse pleine de diamants gros comme des œufs de pigeon ; en marchant, ils ne font pas tomber une seule goutte de pluie de la pointe des fleurs et ne soulèvent pas un seul grain de la poussière des chemins.

Leurs habits sont les plus extravagants et les plus fantasques du monde. Des chapeaux pointus comme des clochers avec des bords aussi larges qu’un parasol chinois et des plumes démesurées arrachées à la queue de l’oiseau de paradis et du phénix ; des capes rayées de couleurs éclatantes, des pourpoints de velours et de brocart, laissant voir leur doublure de satin ou de toile d’argent par leurs crevés galonnés d’or ; des hauts-de-chausses bouffants et gonflés comme des ballons ; des bas écarlates à coins brodés, des souliers à talons hauts et à larges rosettes ; de petites épées fluettes, la pointe en l’air, la poignée en bas, toutes plei-