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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

plus spirituelles ; les jeunes filles tiennent des discours qui feraient rougir des courtisanes ; les courtisanes débitent des maximes de morale. Les aventures les plus inouïes se succèdent coup sur coup sans qu’elles soient expliquées ; le père noble arrive tout exprès de la Chine dans une jonque de bambou pour reconnaître une petite fille enlevée ; les dieux et les fées ne font que monter et descendre dans leurs machines. L’action plonge dans la mer sous le dôme de topaze des flots, et se promène au fond de l’Océan, à travers les forêts de coraux et de madrépores, ou elle s’élève au ciel sur les ailes de l’alouette et du griffon. — Le dialogue est très-universel ; le lion y contribue par un oh ! oh ! vigoureusement poussé ; la muraille parle par ses crevasses, et, pourvu qu’il ait une pointe, un rébus ou un calembour à y jeter, chacun est libre d’interrompre la scène la plus intéressante : la tête d’âne de Bottom est aussi bien venue que la tête blonde d’Ariel ; — l’esprit de l’auteur s’y fait voir sous toutes les formes ; et toutes ces contradictions sont comme autant de facettes qui en réfléchissent les différents aspects, en y ajoutant les couleurs du prisme.

Ce pêle-mêle et ce désordre apparents se trouvent, au bout du compte, rendre plus exactement la vie réelle sous ses allures fantasques que le drame de mœurs le plus minutieusement étudié. — Tout homme renferme en soi l’humanité entière, et en écrivant ce qui lui vient à la tête, il réussit mieux qu’en copiant à la loupe les objets placés en dehors de lui.

Ô la belle famille ! — jeunes amoureux romanesques, demoiselles vagabondes, serviables suivantes, bouffons caustiques, valets et paysans naïfs, rois débonnaires, dont le nom est ignoré de l’historien, et le royaume du