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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

devine en quelque sorte ses mouvements à travers les murailles, et, quand je compris qu’il allait poser la main sur le bouton de la porte, il me prit comme un tremblement, et le cœur me battit d’une force horrible. Il me sembla que quelque chose d’important dans ma vie allait se décider, et que j’étais arrivé à un moment solennel et attendu depuis longtemps.

Le battant s’ouvrit lentement et retomba de même.

Ce fut un cri général d’admiration. — Les hommes applaudirent, les femmes devinrent écarlates. Rosette seule pâlit extrêmement et s’appuya au mur, comme si une révélation soudaine lui traversait le cerveau : elle fit en sens inverse le même mouvement que moi. — Je l’ai toujours soupçonnée d’aimer Théodore.

Sans doute, en ce moment-là, elle crut comme moi que la feinte Rosalinde n’était effectivement rien moins qu’une jeune et belle femme, et le frêle château de cartes de son espoir s’affaissa tout d’un coup, tandis que le mien se relevait sur ses ruines ; du moins voilà ce que j’ai pensé : je me trompe peut-être, car je n’étais guère en état de faire des observations exactes.

Il y avait là, sans compter Rosette, trois ou quatre jolies femmes ; elles parurent d’une laideur révoltante. — À côté de ce soleil, l’étoile de leur beauté s’était éclipsée subitement, et chacun se demandait comment on avait pu les trouver seulement passables. Des gens qui, avant cela, se fussent estimés tout heureux de les avoir pour maîtresses, en eussent à peine voulu pour servantes.

L’image qui jusqu’alors ne s’était dessiner que faiblement et avec des contours vagues, le fantôme adoré et vainement poursuivi, était là, devant mes yeux, vivant, palpable, non plus dans le demi-jour et la vapeur, mais inondé des flots d’une blanche lumière ; non pas