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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

mots pour rendre ce que je sens, je te ferais une description de cinquante pages ; mais les langues ont été faites par je ne sais quels goujats qui n’avaient jamais regardé avec attention le dos ou le sein d’une femme, et l’on n’a pas la moitié des termes les plus indispensables.

Je crois décidément qu’il faut que je me fasse sculpteur ; car avoir vu une telle beauté et ne pouvoir la rendre d’une manière ou de l’autre, il y a de quoi devenir fou et enragé. J’ai fait vingt sonnets sur ces épaules-là, mais ce n’est point assez : je voudrais quelque chose que je pusse toucher du doigt et qui fût exactement pareil ; les vers ne rendent que le fantôme de la beauté et non la beauté elle-même. Le peintre arrive à une apparence plus exacte, mais ce n’est qu’une apparence. La sculpture a toute la réalité que peut avoir une chose complétement fausse ; elle a l’aspect multiple, porte ombre, et se laisse toucher. Votre maîtresse sculptée ne diffère de la véritable qu’en ce qu’elle est un peu plus dure et ne parle pas, deux défauts très-légers !

Sa robe était faite d’une étoffe de couleur changeante, azur dans la lumière, or dans l’ombre ; un brodequin très-juste et très-serré chaussait un pied qui n’avait pas besoin de cela pour être trop petit, et des bas de soie écarlate se collaient amoureusement autour de la jambe la mieux tournée et la plus agaçante ; ses bras étaient nus jusqu’aux coudes, et ils sortaient d’une touffe de dentelles ronds, potelés et blancs, splendides comme de l’argent poli et d’une délicatesse de linéaments inimaginable ; ses mains, chargées de bagues et d’anneaux, balançaient mollement un grand éventail de plumes bigarrées de teintes singulières et qui semblait comme un petit arc-en-ciel de poche.

Elle s’avança dans la chambre, la joue légèrement allumée d’un rouge qui n’était pas du fard, et chacun