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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

symétrie ; cela avait bien autant l’air d’un tapis que d’un jardin : de grandes fleurs en parure de bal, le port majestueux et la mine sereine, comme des duchesses qui s’apprêtent à danser le menuet, vous faisaient au passage une légère inclination de tête. D’autres, moins polies apparemment, se tenaient roides et immobiles, pareilles à des douairières qui font tapisserie. Des arbustes de toutes les formes possibles, si l’on en excepte toutefois leur forme naturelle, ronds, carrés, pointus, triangulaires, avec des caisses vertes et grises, semblaient marcher processionnellement au long de la grande allée, et vous conduire par la main jusqu’aux premières marches du perron.

Quelques tourelles, à demi engagées dans des constructions plus récentes, dépassaient la ligne de l’édifice de toute la hauteur de leur éteignoir d’ardoises, et leurs girouettes de tôle taillées en queue d’aronde témoignaient d’une assez honorable antiquité. Les fenêtres du pavillon du milieu donnaient toutes sur un balcon commun orné d’une balustrade de fer extrêmement travaillée et d’une grande richesse, et les autres étaient entourées de cadres de pierre avec des chiffres et des nœuds sculptés.

Quatre à cinq grands chiens accoururent en aboyant à pleine gueule et en faisant des cabrioles prodigieuses. Ils gambadaient autour des chevaux et leur sautaient au nez : ils firent surtout fête au cheval de mon camarade, à qui probablement ils allaient souvent rendre visite dans l’écurie, ou qu’ils accompagnaient à la promenade.

À tout ce tapage, arriva enfin une espèce de valet, l’air moitié laboureur, moitié palefrenier, qui prit nos bêtes par la bride et les emmena. — Je n’avais pas encore vu âme qui vive, si ce n’est une petite paysanne effarée et sauvage comme un daim, qui s’était sauvée à