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Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/355

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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

— Si quelqu’un doit avoir des regrets, ce n’est ni vous, madame, ni Rosette, mais bien moi ; vous perdez peu, moi beaucoup ; vous retrouverez aisément une société plus charmante que la mienne, et il est plus que douteux que je puisse jamais remplacer celle de Rosette et la vôtre.

— Je ne veux pas me faire une querelle avec votre modestie, mon cher monsieur, mais je sais ce que je sais, et je dis ce qui est : il est probable que de longtemps nous ne reverrons madame Rosette de bonne humeur, car c’est vous maintenant qui faites la pluie et le beau temps sur ses joues. Son deuil va finir, et il serait vraiment fâcheux qu’elle déposât sa gaieté avec sa dernière robe noire ; cela serait de fort mauvais exemple et tout à fait contraire aux lois ordinaires. C’est une chose que vous pouvez empêcher sans vous donner beaucoup de peine, et que vous empêcherez sans doute, dit la vieille en appuyant beaucoup sur les derniers mots.

— Assurément, je ferai tout mon possible pour que votre chère nièce conserve sa belle gaieté, puisque vous me supposez une telle influence sur elle. Cependant je ne vois guère comment je m’y pourrai prendre.

— Oh ! vraiment vous ne voyez guère ! À quoi vous servent vos beaux yeux ? — Je ne savais pas que vous eussiez la vue si courte. Rosette est libre ; elle a quatre-vingt mille livres de rente où personne n’a rien à voir, et l’on trouve fort jolies des femmes deux fois plus laides qu’elle. Vous êtes jeune, bien fait, et, à ce que je pense, non marié ; la chose me paraît la plus simple du monde, à moins que vous n’ayez pour Rosette une insurmontable horreur : ce qui est difficile à croire…

— Ce qui n’est pas et ne peut pas être ; car son âme vaut son corps, et elle est de celles qui pourraient être