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MADEMOISELLE DE MAUPIN.
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dernière tentative qui eut des résultats si graves, qu’il faut que je t’en fasse un récit à part, et que je ne puis te la raconter dans cette lettre déjà démesurément enflée. — Tu verras à quelles singulières aventures j’étais prédestinée, et comme le ciel m’avait taillée d’avance pour être une héroïne de roman ; je ne sais pas trop, par exemple, quelle moralité on pourra tirer de tout cela, — mais les existences ne sont pas comme les fables, chaque chapitre n’a pas à la queue une sentence rimée. — Bien souvent le sens de la vie est que ce n’est pas la mort. Voilà tout. Adieu, ma chère, je t’embrasse sur tes beaux yeux. Tu recevras incessamment la suite de ma triomphante biographie.


XIII


Théodore, — Rosalinde, — car je ne sais de quel nom vous appeler, — je viens de vous voir tout à l’heure, et je vous écris. — Que je voudrais savoir votre nom de femme ! il doit être doux comme le miel et voltiger sur les lèvres plus suave et plus harmonieux que de la poésie ! Jamais je n’eusse osé vous dire cela, et cependant je serais mort de ne pas le dire. — Ce que j’ai souffert, nul ne le sait, nul ne peut le savoir, moi-même je ne pourrais en donner qu’une faible idée ; les mots ne rendent pas de telles angoisses ; je paraîtrais avoir contourné ma phrase à plaisir, m’être battu les flancs pour dire des choses neuves et singulières, et donner dans les plus extravagantes exagérations, quand je ne peindrais que ce que j’ai éprouvé avec des images à peine suffisantes.

Ô Rosalinde ! je vous aime, je vous adore ; que n’est-il un mot plus fort que celui-là ! Je n’ai jamais aimé, je n’ai jamais adoré personne que vous ; — je me pros-