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Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/371

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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

étrange ; — tout le monde me blâmerait de l’avoir faite. — Mais vous allez partir bientôt, et je vous aime ! Je ne puis vous laisser ainsi sans m’être expliquée avec vous. — Peut-être ne reviendrez-vous jamais ; peut-être est-ce la première et la dernière fois que je dois vous voir. — Qui sait où vous irez ? Mais où que vous alliez, vous emporterez mon âme et ma vie avec vous. — Si vous étiez resté, je n’en serais pas venue à cette extrémité. Le bonheur de vous contempler, de vous entendre, de vivre à côté de vous m’eût suffi : je n’eusse rien demandé de plus. J’aurais renfermé mon amour dans mon cœur ; vous auriez cru n’avoir en moi qu’une bonne et sincère amie ; — mais cela ne peut pas être. Vous dites qu’il faut absolument que vous partiez. — Cela vous ennuie, Théodore, de me voir ainsi attachée à vos pas comme une ombre amoureuse qui ne peut que vous suivre et qui voudrait se fondre à votre corps ; il doit vous déplaire de retrouver toujours derrière vous des yeux suppliants et des mains tendues pour saisir le bord de votre manteau. — Je le sais, mais je ne puis m’empêcher de le faire. — Au reste, vous ne pouvez pas vous en plaindre ; c’est votre faute. — J’étais calme, tranquille, presque heureuse avant de vous connaître. — Vous arrivez beau, jeune, souriant, pareil à Phœbus le dieu charmant. — Vous avez pour moi les soins les plus empressés, les plus délicates attentions ; jamais cavalier ne fut plus spirituel et plus galant. Vos lèvres chaque minute laissaient tomber des roses et des rubis ; — tout devenait pour vous une occasion de madrigal, et vous savez détourner les phrases les plus insignifiantes pour en faire d’adorables compliments. — Une femme qui vous aurait d’abord mortellement haï aurait fini par vous aimer, et moi, je vous aimais dès l’instant où je vous avais vu. — Pourquoi paraissiez-vous donc surpris, ayant