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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

qui avaient le plus le sentiment de la femme, qui les traitaient plus mal que tous les autres et qui revenaient à ce sujet avec un acharnement tout particulier, comme s’ils leur eussent gardé une mortelle rancune de n’être point telles qu’ils les souhaitaient, en faisant mentir la bonne opinion qu’ils en avaient conçue d’abord.

Ce que je demandais avant tout, ce n’était pas la beauté physique, c’était la beauté de l’âme, c’était de l’amour ; mais l’amour comme je le sens n’est peut-être pas dans les possibilités humaines. — Et pourtant il me semble que j’aimerais ainsi et que je donnerais plus que je n’exige.

Quelle magnifique folie ! quelle prodigalité sublime !

Se livrer tout entier sans rien garder de soi, renoncer à sa possession et à son libre arbitre, remettre sa volonté entre les bras d’un autre, ne plus voir par ses yeux, ne plus entendre avec ses oreilles, n’être qu’un en deux corps, fondre et mêler ses âmes de façon à ne plus savoir si vous êtes vous ou l’autre, absorber et rayonner continuellement, être tantôt la lune et tantôt le soleil, voir tout le monde et toute la création dans un seul être, déplacer le centre de vie, être prêt, à toute heure, aux plus grands sacrifices et à l’abnégation la plus absolue ; souffrir à la poitrine de la personne aimée, comme si c’était la vôtre ; ô prodige ! se doubler en se donnant : — voilà l’amour tel que je le conçois.

Fidélité de lierre, enlacements de jeune vigne, roucoulements de tourterelle, cela va sans dire, et ce sont les premières et les plus simples conditions.

Si j’étais restée chez moi, sous les habits de mon sexe, à tourner mélancoliquement mon rouet ou à faire de la tapisserie derrière un carreau, dans l’embrasure d’une fenêtre, ce que j’ai cherché à travers le monde serait