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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

rement par avoir le dessus et me dévaliser complétement.

Un jour cependant elle se contenta de me saluer d’un air très-grave et ne vint pas, comme à son ordinaire, voir si la fontaine de sucreries coulait toujours dans ma poche ; elle restait fièrement sur sa chaise toute droite et les coudes en arrière.

— Eh bien ! Ninon, lui dis-je, est-ce que vous aimez le sel maintenant, ou avez-vous peur que les bonbons ne vous fassent tomber les dents ? — Et, en disant cela, je frappai contre la boîte, qui rendait, sous ma veste, le son le plus mielleux et le plus sucré du monde.

Elle avança à demi sa petite langue sur le bord de sa bouche, comme pour savourer la douceur idéale du bonbon absent, mais elle ne bougea pas.

Alors je tirai la boîte de ma poche, je l’ouvris et je me mis à avaler religieusement les pralines, qu’elle aimait par-dessus tout : l’instinct de la gourmandise fut un instant plus fort que sa résolution ; elle avança la main pour en prendre et la retira aussitôt en disant : — Je suis trop grande pour manger des bonbons ! Et elle fit un soupir.

— Je ne m’étais pas aperçu que vous fussiez beaucoup grandie depuis la semaine passée ; vous êtes donc comme les champignons qui poussent en une nuit ? Venez que je vous mesure.

— Riez tant que vous voudrez, reprit-elle avec une charmante moue ; je ne suis plus une petite fille ; et je veux devenir très-grande.

— Voilà d’excellentes résolutions dans lesquelles il faut persévérer ; — et pourrait-on, ma chère demoiselle, savoir à propos de quoi ces triomphantes idées vous sont tombées dans la tête ? Car, il y a huit jours, vous paraissiez vous trouver fort bien d’être petite, et vous