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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

au point que je résolus de la tirer à tout prix de cette affreuse maison.

La première chose à faire, c’était d’empêcher le chevalier de poursuivre sa pointe. — Ce que je trouvai de mieux et de plus simple, ce fut de lui chercher querelle et de le faire battre avec moi, et j’eus toutes les peines du monde, car il est poltron au possible et craint les coups plus que qui que ce soit au monde. — Enfin je lui en dis tant et de si piquantes, qu’il fallut bien qu’il se décidât à venir sur le pré, quoique fort à contre-cœur. — Je le menaçai même de le faire rosser de coups de bâton par mon laquais, s’il ne faisait meilleure contenance. Il savait pourtant assez bien tirer l’épée, mais la peur le troublait tellement, qu’à peine les fers croisés, je trouvai le moyen de lui administrer un joli petit coup de pointe qui le mit pour quinze jours au lit. — Cela me suffisait ; je n’avais pas envie de le tuer, et j’aimais autant le laisser vivre pour qu’il fût pendu plus tard ; soin touchant dont il aurait dû me savoir plus de gré ! — Mon drôle étendu entre deux draps et dûment ficelé de bandelettes, il n’y avait plus qu’à décider la petite à quitter la maison, ce qui n’était pas excessivement difficile.

Je lui fis un conte sur la disparition de son amoureux, dont elle s’inquiétait extraordinairement. Je lui dis qu’il s’en était allé avec une comédienne de la troupe qui était alors à C*** : ce qui l’indigna, comme tu peux croire. — Mais je la consolai en lui disant toute sorte de mal du chevalier, qui était laid, ivrogne et déjà vieux, et je finis par lui demander si elle n’aimerait pas mieux que je fusse son galant. — Elle répondit qu’elle le voulait bien, parce que j’étais plus beau, et que mes habits étaient neufs. — Cette naïveté, dite avec un sérieux énorme, me fit rire jusqu’aux larmes. — Je mon-