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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

que de moi, et l’était encore, à travers toutes ses intrigues et ses folies, il craignait de l’affliger en lui laissant voir qu’il ne l’aimait pas : cette considération le retenait, et il se sacrifiait le plus généreusement du monde.

Le caractère de mes traits lui plut extraordinairement, car il attache une importance extrême à la forme extérieure, tant et si bien qu’il devint amoureux de moi, malgré mes habits d’homme et la formidable rapière que je porte au côté. — J’avoue que je lui sus bon gré de la finesse de son instinct, et que j’eus pour lui quelque estime de m’avoir distinguée sous ces trompeuses apparences. — Dans le commencement, il se crut pourvu d’un goût beaucoup plus dépravé qu’il ne l’était en effet, et je riais intérieurement de le voir se tourmenter ainsi. Il avait quelquefois, en m’abordant, des mines effarouchées qui me divertissaient on ne peut plus, et le penchant bien naturel qui l’entraînait vers moi lui paraissait une impulsion diabolique à laquelle on n’eût trop su résister. — En ces occasions, il se rejetait sur Rosette avec furie, et s’efforçait de reprendre des habitudes d’amour plus orthodoxes ; puis il revenait à moi comme de raison plus enflammé qu’auparavant. Puis cette lumineuse idée que je pouvais bien être une femme se glissa dans son esprit. Pour s’en convaincre, il se mit à m’observer et à m’étudier avec l’attention la plus minutieuse ; il doit connaître particulièrement chacun de mes cheveux et savoir au juste combien j’ai de cils aux paupières ; mes pieds, mes mains, mon cou, mes joues, le moindre duvet au coin de ma lèvre, il a tout examiné, tout comparé, tout analysé, et de cette investigation où l’artiste aidait l’amant, il est ressorti, clair comme le jour (quand il est clair), que j’étais bien et dûment une femme, et de plus son idéal, le type de sa beauté,