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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

comme la froide Diane elle-même, au sein de la dissipation la plus éparpillée et entourée des plus grands débauchés du siècle. — Cette ignorance du corps que n’accompagne pas l’ignorance de l’esprit est la plus misérable chose qui soit. Pour que ma chair n’ait pas à faire la fière devant mon âme, je veux la souiller également, si toutefois c’est une souillure plus que de boire et de manger, — ce dont je doute. — En un mot, je veux savoir ce que c’est qu’un homme, et le plaisir qu’il donne. Puisque d’Albert m’a reconnue sous mon travestissement, il est bien juste qu’il soit récompensé de sa pénétration ; il est le premier qui ait deviné que j’étais une femme, et je lui prouverai de mon mieux que ses soupçons étaient fondés. — Il serait peu charitable de lui laisser croire qu’il n’a eu qu’un goût monstrueux.

C’est donc d’Albert qui résoudra mes doutes et me donnera ma première leçon d’amour : il ne s’agit plus maintenant que d’amener la chose d’une façon toute poétique. J’ai envie de ne pas répondre à sa lettre et de lui faire froide mine pendant quelques jours. Quand je le verrai bien triste et bien désespéré, invectivant les dieux, montrant le poing à la création, et regardant les puits pour voir s’ils ne sont pas trop profonds pour s’y jeter, — je me retirerai comme Peau-d’Âne au fond du corridor, et je mettrai ma robe couleur du temps, — c’est-à-dire mon costume de Rosalinde ; car ma garde-robe féminine est très-restreinte. Puis j’irai chez lui, radieuse comme un paon qui fait la roue, montrant avec ostentation ce que je dissimule ordinairement avec le plus grand soin, et n’ayant qu’un petit tour de gorge en dentelles très-bas et très-dégagé, et je lui dirai du ton le plus pathétique que je pourrai prendre :