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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

ment son cou et ses épaules dans l’eau fumante de la rivière, et sa blancheur le faisait paraître dans l’ombre comme une large étoile de neige. — C’était le seul être vivant qui animât un peu ce morne paysage.

D’Albert songeait aussi tristement que peut songer à cinq heures du soir, en automne, par un temps de brume, un homme désappointé ayant pour musique une bise assez aigre et pour perspective le squelette d’une forêt sans perruque.

Il songeait à se jeter dans la rivière, mais l’eau lui semblait bien noire et bien froide, et l’exemple du cygne ne le persuadait qu’à demi ; à se brûler la cervelle, mais il n’avait ni pistolet ni poudre, et il eût été fâché d’en avoir ; à prendre une nouvelle maîtresse et même à en prendre deux, résolution sinistre ! mais il ne connaissait personne qui lui convînt ou même qui ne lui convînt pas. — Il poussa le désespoir jusqu’à vouloir renouer avec des femmes qui lui étaient parfaitement insupportables et qu’il avait fait mettre, à coups de cravache, hors de chez lui par son laquais. Il finit par s’arrêter à quelque chose de beaucoup plus affreux… à écrire une seconde lettre.

Ô sextuple butor !

Il en était là de sa méditation, lorsqu’il sentit se poser sur son épaule — une main — pareille à une petite colombe qui descend sur un palmier. — La comparaison cloche un peu en ce que l’épaule d’Albert ressemble assez légèrement à un palmier : c’est égal, nous la conservons par pur orientalisme.

La main était emmanchée au bout d’un bras qui répondait à une épaule faisant partie d’un corps, lequel n’était autre chose que Théodore-Rosalinde, mademoiselle d’Aubigny, ou Madeleine de Maupin, pour l’appeler de son véritable nom.