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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

vous être agréable de le recevoir ; c’est pourquoi j’ai pris la liberté de vous le présenter.

— Assurément, monsieur, vous avez très-bien fait, répliqua la dame en minaudant de la manière la plus outrée. Puis elle se retourna vers moi, et, après m’avoir détaillé du coin de l’œil en connaisseuse habile, et d’une façon qui me fit rougir par-dessus les oreilles : — Vous pouvez vous regarder comme invité une fois pour toutes, et venir aussi souvent que vous aurez une soirée à perdre.

Je m’inclinai assez gauchement, et balbutiai quelques mots sans suite qui ne durent pas lui donner une haute idée de mes moyens ; d’autres personnes entrèrent, ce qui me délivra des ennuis inséparables de la présentation. De C*** me tira dans un coin de fenêtre, et se mit à me sermonner d’importance.

— Que diable ! tu vas me compromettre ; je t’ai annoncé comme un phénix d’esprit, un homme à imagination effrénée, un poëte lyrique, tout ce qu’il y a de plus transcendant et de plus passionné, et tu restes là comme une souche, sans sonner mot ! Quelle pauvre imaginative ! Je te croyais la veine plus féconde ; allons donc, lâche la bride à ta langue, babille à tort et à travers ; tu n’as pas besoin de dire des choses sensées et judicieuses, au contraire, cela pourrait t’être nuisible ; parle, voilà l’essentiel ; parle beaucoup, parle longtemps ; attire l’attention sur toi ; jette-moi de côté toute crainte et toute modestie ; mets-toi bien dans la tête que tous ceux qui sont ici sont des sots, ou à peu près, et n’oublie pas qu’un orateur qui veut réussir ne peut mépriser assez son auditoire. — Que te semble de la maîtresse de la maison ?

— Elle me déplaît déjà considérablement ; et, quoique je lui aie parlé à peine trois minutes, je m’ennuyais autant que si j’eusse été son mari.