Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
89
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

je l’aurais, et j’en étais plus sûr que si j’en eusse tenu la promesse écrite et signée de sa main. On dira peut-être que la hardiesse et la facilité de ses manières laissaient le champ libre à la témérité des espérances. Je ne pense pas que ce soit là le véritable motif : j’ai vu quelques femmes dont la prodigieuse liberté excluait, en quelque sorte, jusqu’à l’ombre d’un doute, qui ne m’ont pas produit cet effet, et auprès desquelles j’avais des timidités et des inquiétudes pour le moins déplacées.

Ce qui fait qu’en général je suis bien moins aimable avec les femmes que je veux avoir qu’avec celles qui me sont indifférentes, c’est l’attente passionnée de l’occasion et l’incertitude où je suis de la réussite de mon projet : cela me donne du sombre et me jette dans une rêverie qui m’ôte beaucoup de mes moyens et de ma présence d’esprit. Quand je vois s’échapper une à une les heures que j’avais destinées à un autre emploi, la colère me gagne malgré moi, et je ne puis m’empêcher de dire des choses fort sèches et fort aigres, qui vont quelquefois jusqu’à la brutalité et qui reculent mes affaires à cent lieues. Avec Rosette, je n’ai rien senti de tout cela ; jamais, même au moment où elle me résistait le plus, je n’ai eu cette idée qu’elle voulût échapper à mon amour. Je lui ai laissé déployer tranquillement toutes ses petites coquetteries, et j’ai pris en patience les délais assez longs qu’il lui a plu d’apporter à mon ardeur : sa rigueur avait quelque chose de souriant qui vous en consolait autant que possible, et dans ses cruautés les plus hyrcaniennes on entrevoyait un fond d’humanité qui ne vous permettait guère d’avoir une peur bien sérieuse. — Les honnêtes femmes, même lorsqu’elles le sont le moins, ont une façon rechignée et dédaigneuse qui m’est parfaitement