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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

on ne s’attend pas : — c’est un délicieux compagnon, un joli camarade avec lequel on couche, plutôt qu’une maîtresse ; et, si j’avais quelques années de plus et quelques idées romanesques de moins, cela me serait parfaitement égal, et même je m’estimerais le plus fortuné mortel qui soit. Mais… mais… — voilà une particule qui n’annonce rien de bon, et ce diable de petit mot restrictif est malheureusement celui de toutes les langues humaines qui est le plus employé ; — mais je suis un imbécile, un idiot, un véritable oison, qui ne sais me contenter de rien et qui vais toujours chercher midi à quatorze heures ; et, au lieu d’être tout à fait heureux, je ne le suis qu’à moitié ; — à moitié, c’est déjà beaucoup pour ce monde-ci, et cependant je trouve que ce n’est pas assez.

Aux yeux de tout le monde, j’ai une maîtresse que plusieurs désirent et m’envient, et que personne ne dédaignerait. Mon désir est donc rempli en apparence, et je n’ai plus le droit de chercher des querelles au sort. Cependant il ne me semble pas avoir une maîtresse ; je le comprends par raisonnement, mais je ne le sens pas ; et, si quelqu’un me demandait inopinément si j’en ai une, je crois que je répondrais que non. — Pourtant la possession d’une femme qui a de la beauté, de la jeunesse et de l’esprit, constitue ce que, dans tous les temps et dans tous les pays, on a appelé et appelle avoir une maîtresse, et je ne pense pas qu’il y ait une autre manière. Cela n’empêche pas que je n’aie les plus étranges doutes à cet égard, et cela est poussé au point que, si plusieurs personnes s’entendaient pour me soutenir que je ne suis pas l’amant favorisé de Rosette, malgré l’évidence palpable de la chose, je finirais par les croire.

Ne va pas imaginer, d’après ce que je te dis, que je ne l’aime pas, ou qu’elle me déplaise en quelque chose :