Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/131

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les lundis la course de taureaux ; car nous autres, qui n’avons pas, comme les demoiselles du monde, la lecture, le piano, le théâtre et les soirées, nous aimons ces spectacles simples et grandioses, où le courage de l’homme l’emporte sur l’impétuosité aveugle de la brute. Là, Juancho me vit, et conçut pour moi un amour insensé, une passion frénétique. Malgré sa mâle beauté, ses costumes brillants, ses exploits surhumains, il ne m’inspira jamais rien... Tout ce qu’il faisait, et qui aurait dû me toucher, augmentait mon aversion pour lui.

« Cependant il avait une telle adoration pour moi que souvent je me trouvais ingrate de ne pas y répondre ; mais l’amour est indépendant de notre volonté : Dieu nous l’envoie quand il lui plaît. Voyant que je ne l’aimais pas, Juancho tomba dans la méfiance et la jalousie, il m’entoura de ses obsessions, il me surveilla, m’épia et chercha partout des rivaux imaginaires. Il me fallut veiller sur mes yeux et sur mes lèvres ; un regard, une parole, devenaient pour Juancho le prétexte de quelque affreuse querelle ; il faisait la solitude autour de moi et m’entourait d’un cercle d’épouvante que bientôt nul n’eût osé franchir.

— Et que j’ai rompu à jamais, je l’espère ; car je ne pense pas que Juancho revienne à présent.

— Pas de sitôt du moins ; car il doit se cacher pour éviter les poursuites jusqu’à ce que vous soyez guéri.